L’alcoolique invisible

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Témoignage anonyme

Je suis une alcoolique invisible.

Tout le monde connaît les alcooliques anonymes. Ce sont des hommes, d’un certain âge, qui boivent du matin au soir. Ils finissent leur journée au bar, seul, et n’ont aucun scrupule à retourner à la maison en auto en état d’ébriété. Ils peinent à garder un emploi, ont peu ou pas d’amis et leur famille s’est poussée d’eux depuis plusieurs années déjà. On ne connaît pas leur nom, mais on connaît leur maladie. Ils sont des alcooliques. C’était du moins, ma propre définition d’un alcoolique. 

J’ai une dépendance à l’alcool, mais personne ne la perçoit. Je suis une alcoolique invisible. Je suis celle qui devant les autres, sait arrêter de boire, pour bien paraître. Celle qui est capable de prendre qu’un seul verre quand elle est le chauffeur désigné. Celle qui cache sa gueule de bois en prétextant que sa jeune dernière ne fait pas ses nuits. Celle qui conseille ses amis sur les bons vins, mais qui est incapable de ne pas voir le fond de la bouteille quand elle en ouvre une. 

On veut tous décrocher, non?

Invisible était ma dépendance aux yeux des autres. Après tout, je m’acquittais de mes journées et de mes obligations. J’ai même tentée de me confier à une amie qui m’a répondu en riant que je m’en faisais pour rien, « tout le monde aime ça prendre un verre ». 

Mais la réalité était tout autre. Je buvais dans le confort de mon salon, surtout quand la maisonnée était couchée. A l’abri des regards, je pouvais enfiler de 5 à 7 consommations (parfois plus) à tous les soirs. Au départ, c’était la fin de semaine, pour relaxer. On veut tous décrocher, non? Puis, toutes les raisons étaient bonnes pour en ouvrir une même en semaine : frustration au travail, les enfants sont turbulents, pour accompagner mon émission préférée… name it

Et puis vient le moment où tu gères ta vie en fonction de l’alcool. Tu préfères rester à la maison à boire toute la soirée que sortir avec une amie. Tu calcules les verres que ton chum prend pour t’assurer qu’il va t’en rester pour ta soirée. Tu te fâches même après lui quand tu sens qu’il va t’en manquer. Tu arrêtes tellement souvent acheter de l’alcool après le travail que tu changes de place pour pas que les commis portent un jugement sur ta consommation. T’es pas capable de sauter un jour sans en prendre. Tu attends 16h avec grande impatience pour t’en ouvrir une. T’es dans le déni complet de ta dépendance : après tout, toutes les mères à boutte prennent du vin non?

J’ai profité des trois mois sans alcool recommandés par mon médecin pour faire des tests pour me sevrer. Les tests n’ont rien révélés au bout du compte. Un wake-up call de mon corps il faut croire.

Un jour, des problèmes d’estomacs ont eu raison de moi. Des signaux que j’ignorais depuis deux bonnes années à coup d’anti-acide comme si c’était des bonbons. Des tests sanguins alarmants. Un médecin qui me demande si je prends de l’alcool et à qui je réponds que j’abuse parfois, mais qui ne questionne pas plus. Après tout, je suis une alcoolique invisible. J’ai eu peur. Peur de faire une cirrhose du foie, d’avoir cette maladie irréversible. Les lésions au foie dues à une cirrhose ne se guérissent pas. Tu apprends à vivre avec. J’ai profité des trois mois sans alcool recommandés par mon médecin pour faire des tests pour me sevrer. Les tests n’ont rien révélés au bout du compte. Un wake-up call de mon corps il faut croire. Et je me suis rappelée cette conversation avec un ami qui a grandi avec une mère alcoolique – et qui est le seul en fait a avoir décelé mon problème d’alcool. Il me racontait que jeune, ses amis trouvaient sa mère ben drôle car elle était toujours pompette. Mais lui la trouvait moins drôle. Encore aujourd’hui, il n’a pas pleinement confiance en elle. Est-ce que je veux être ce genre de mère? 

Depuis, je ne bois plus. Zéro. Je sais que je ne pourrai jamais être une buveuse occasionnelle et aujourd’hui, je vis très bien avec ça. J’ai survécu aux fêtes, aux partys de bureau, aux anniversaires de famille, prétextant mes problèmes de santé qui m’interdisent de boire de l’alcool. Ma guérison se fait dans le plus grand des secrets. Je le fais pour moi avant tout. C’est ça être une alcoolique invisible.