Texte par Alexandre Octeau, finaliste du concours Mes tempêtes intérieures
En face de moi, il y a un gars qui a plus l’air d’un biker que d’un intervenant, il rit de sa grosse voix et me dit: “Donne-moi ton cell, tes lunettes fumées et ton porte-feuille, vide tes poches ici.”
Il y a cinq ans jour pour jour, j’étais de retour à la maison de thérapie. Je suis arrivé un soir de meeting AA, avec ma vieille BM, mon foulard fashion, mes lunettes de fumée high end, mes cheveux longs bouclés et ma barbe de hipster. Tout le monde croit que je viens pour un meeting, mais ils sont tous surpris quand je reste après pour placer la salle. Derrière mon apparence se cache un des leurs qui n’a pas compris tout a fait la première fois. Cette fois-ci, il devra vraiment dégonfler son ego s’il veut survivre.
Cela faisait deux ans que j’étais sorti de cette maison, après y avoir passé trois mois pour me sortir de l’enfer. Cette fois-ci j’y entrais de mon plein gré.
La première fois, mon père m’y a conduit juste pour qu’on aille voir de quoi ça avait l’air ; je ne me souviens pas de la ride, j’étais semi-comateux, j’avais passé la nuit en prison, je m’étais fait arrêter pour avoir conduit ma moto alors que j’étais saoul. Ils avaient trouvé plusieurs autres substances dans mes poches.
Une fois rendu, je rentre à l’accueil et je demande où sont les toilettes. C’est la porte juste en face de celle derrière laquelle se cachait celui qui allait devenir mon intervenant. J’y entre pour trois minutes et à ma sortie, mon père est parti. Je suis en plein milieu d’un champ, aucune chance pour que je puisse partir à pied, de toute façon je n’ai plus de destination où je suis le bienvenu et je me suis fais mettre dehors de mon dernier logement il y a plusieurs mois.
En face de moi, il y a un gars qui a plus l’air d’un biker que d’un intervenant, il rit de sa grosse voix et me dit: “Donne-moi ton cell, tes lunettes fumées et ton porte-feuille, vide tes poches ici.”
J’ai envie de lui dire : “Pour qui tu te prends, y en est pas question!” Mais je suis complètement à bout, je me suis dit que j’allais me reposer un peu avant de m’en aller. Ils m’ont convaincu de rester et j’y ai découvert des hommes comme moi, je n’étais plus seul.
J’ai finalement fait un burn-out, mais dans la famille ça n’existe pas un burn-out.
J’ai tout perdu ce que qui m’a pris quinze ans à construire. Ça m’a pris un peu moins que deux ans pour tout détruire. J’avais une famille, deux beaux enfants, deux chiens, une belle grande maison neuve dans un rond point à Terrebonne.
Je voyageais à travers le monde régulièrement, mon travail comme directeur du design et de la production pour une marque de vêtements pour homme est très glamour, aux yeux de mon entourage.
J’ai finalement fait un burn-out, mais dans la famille ça n’existe pas un burn-out. C’est une excuse pour les paresseux qui veulent arrêter de travailler et récolter l’assurance, donc moi je ne me fais pas soigner, même si tous les matins j’hésite à foncer dans un arbre avec mon auto pour aller à l’hôpital, enfin me reposer. Je vais bien…
Pour endormir la douleur, je retourne vers ma drogue de choix, cette vieille amie. J’avais réussi à la laisser de côté pendant neuf ans, pendant tout ce temps elle m’attendait à bras ouvert.
Mon deuxième enfant vient de naître, j’en profite et prends un congé parental, après avoir donné ma démission. La maladie a été ralentie mais est revenue de plus belle quand je suis retourné au travail. J’ai envie de mourir, je sens mon couple qui se dissout, je ne suis pas présent mentalement pour mes enfants. Ma femme n’en peut plus, elle me quitte et pars avec mes deux enfants vivre dans les Cantons de l’est.
Le souvenir de mon plus jeune, qui a trois ans à ce moment là, est gravé dans ma mémoire. Sa mère le tient par la main et quitte la maison pour une dernière fois; il se laisse traîner mais me jette un regard si triste, il ne veut pas partir, il me tend la main : “Pourquoi on s’en va sans papa?” La porte se referme, j’attends un peu pour les laisser partir. Une fois que je sais qu’ils sont bel et bien partis, j’hurle ma détresse, je tombe dans la cuisine, en position foetale, seulement habillé de ma robe de chambre, je crie mon désespoir jusqu’à l’épuisement.
Pour endormir la douleur, je retourne vers ma drogue de choix, cette vieille amie. J’avais réussi à la laisser de côté pendant neuf ans, pendant tout ce temps elle m’attendait à bras ouvert. Elle m’a entraînée dans mon bas fond et a fait de moi son esclave. Malgré tout, avec le recul, je suis convaincu que sans elle je ne je ne serais pas vivant aujourd’hui, sans elle je n’aurais jamais mis les pieds dans cette maison qui m’a montré à vivre, perdu au milieu d’un rang. Sans elle, je ne saurais pas comment vivre mes émotions aujourd’hui.
J’ai perdu beaucoup de plumes, celles qu’il me reste racontent l’histoire de mon cheminement.
Sept ans plus tard, je vis au jour le jour. Mon parcours n’a pas été facile, mon désir de mourir est mis au rancart. Je soigne ma maladie mentale, j’ai des amis, de la famille et des groupes qui m’aident à traverser les moments difficiles qui sont de moins en moins fréquents.
Ce que je n’ai réussi à apprendre par la sagesse, la vie me l’a appris à coup de 2 x 4 en arrière de la tête.
Je vis maintenant avec un mode de vie au lieu d’une vie à la mode! Je sais que c’est un cliché, mais il me va comme un gant.
Aujourd’hui, mon plus vieux est avec moi six jours sur sept, j’ai déménagé à côté de son école pour le voir plus souvent. Mon plus jeune, je le vois presque toute les fins de semaine, il ne va pas encore à cette école, j’espère le voir plus souvent mais ce n’est plus seulement mon choix.
J’ai perdu beaucoup de plumes, celles qu’il me reste racontent l’histoire de mon cheminement.
Maintenant que j’ai pris soin de moi, je peux prendre soin de mes enfants à nouveau. Je leurs transmets ce que j’ai appris, ils me demandent des conseils, ils me parlent de tout et de rien, ils se confient. Je suis un meilleur papa parce que j’ai une maladie, je suis un dépendant et j’en suis aujourd’hui reconnaissant.
Alex