Chanter de joie

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Témoignage par Eva Avila

Je me suis soûlée pour la première fois à mon after party le soir de ma graduation. J’ai eu du plaisir, c’était rigolo, mais je n’ai pas trippé tant que ça.

Au secondaire, j’ai toujours été la fille “pleine d’énergie et toujours de bonne humeur”. Pas pour rien que je me sois méritée le titre de “la plus énervée” à la graduation. C’est gravé é tout jamais dans notre livre de finissants.

C’est vrai, depuis mon jeune âge, j’ai toujours été une enfant souriante, pétillante, intense, obsessive, qui gambadait et chantait tout le temps.

Je me souviens clairement de ce sentiment de joie de vivre, qui m’habitait depuis mes premiers souvenirs. Une espèce d’euphorie inexpliquable, qui faisait en sorte que très souvent, sans raison, une énorme vague de bonheur s’emparait de moi et je me mettais à sautiller et à crier (ou chanter) pendant quelques secondes, juste parce que… parce que. Simplement parce que j’étais en vie. Je me souviens trop bien de ce sentiment. Ce dont je ne me souviens pas, c’est quand et comment exactement je l’ai perdu…

L’alcool

Oh que ça me faisait peur quand j’étais ado! Pendant tout le secondaire, j’allais dans des partys ou il y avait de l’alcool et du pot et je me sentais anxieuse, terrifiée, et je quittais. Alors que tous mes amis en avaient déjà fait l’essai, moi j’en avais horreur. À ce jour, je ne suis même pas entièrement certaine pourquoi…

Je me suis soûlée pour la première fois à mon after party le soir de ma graduation. J’ai eu du plaisir, c’était rigolo, mais je n’ai pas trippé tant que ça. Je n’ai pas eu la “piqure” pour cette sensation de desinhibition, d’engourdissement, de perte de contrôle. Ce n’est que quelques années plus tard que la dépendance s’est immiscée en moi, mais ça, je ne le savais pas du haut de mes 17 ans…

Je suis chanteuse. Le métier de mes rêves depuis que je suis toute petite et que j’apprenais la musique avec mon papa. Certes, c’est un milieu ou il y a constamment des montagnes russes, des hauts et des bas, de l’instabilité, du changement a tous les coins de rue, de l’anxiété, du stress, des virages drastiques émotionnels… mais j’adore ce que je fais, et je ne l’échangerais pas pour tout l’or du monde.

Mon parcours de carrière n’est pas traditionnel disons, et je me sens plutôt perdue quand je me compare à mes amis qui eux sont à l’université et mènent leurs vies “normales.” Je me sens un peu comme un mouton noir.

2006

C’est à l’âge de 19 ans que j’ai réellement débuté ma carrière de chanteuse au niveau professionnel. J’ai remporte un gros concours télévisé canadien-anglais, et c’est grâce à cette vitrine que j’ai pu faire le grand saut. J’ai carrément été plongée dedans, à fond et a toute vitesse. De grosses émotions fortes, un contrat de disques, une pluie torrentielle d’attention et de couverture médiatique, des offres à gauche et à droite, des beaux chèques de paie, une compagnie incorporée à mon nom… vous voyez un peu le portrait. C’était beaucoup à absorber.

Pendant les années qui suivent, je réalise que je commence à avoir du mal à naviguer. Je ne sais pas pourquoi, mais j’ai un sentiment de confusion, de solitude, d’angoisse. Mon parcours de carrière n’est pas traditionnel disons, et je me sens plutôt perdue quand je me compare à mes amis qui eux sont à l’université et mènent leurs vies “normales.” Je me sens un peu comme un mouton noir. Les retombées du concours sont loin derrière et le téléphone sonne moins souvent. L’argent entre moins abondamment. Je vis des peines, des déceptions, comme tout le monde, autant au niveau personnel que professionnel. Et comme tout le monde, je ne suis pas à l’abri de la dépression.

Je commence à découvrir que quand je prends un verre (ou plutôt quelques verres), tout semble moins grave, moins stressant, moins lourd. Et tout au long de ma vingtaine, l’envie d’alcool grimpe graduellement et devient un besoin. Ma tolérance augmente et toutes les occasions sont bonnes pour consommer et s’engourdir un peu. La dépendance s’infiltre sournoisement en moi, de plus en plus, sans crier gare.

Ce que je sais c’est que je suis prise au piège. Je suis déprimée et je vis ma vie comme une morte-vivante.

2014

Si on avance la cassette de quelques années, les crocs de la dépendance sont maintenant dangereusement enfoncés dans mon corps et dans mon cerveau. Son venin circule dans mes veines. J’ai besoin d’alcool pratiquement chaque jour, et en grande quantité. J’en veux toujours plus, il n’y en a jamais assez. Quand je rentre chez moi après un souper entre amis, c’est plus fort que moi, il m’en faut encore. Je commence à sérieusement perdre le contrôle, comme si j’étais incapable de mettre la switch à off. Boire était en train de devenir une obsession qui prenait la place de tout ce qui était bon dans ma vie. Ça semble peut-être dramatique, mais je vous promets que je n’exagère pas du tout.

Alors me voilà, mi-vingtaine, alors que je devrais être au sommet de ma santé et de ma forme, j’ai un mal-être qui prend de l’expansion et je ne sais même pas pourquoi. Ce que je sais c’est que je suis prise au piège. Je suis déprimée et je vis ma vie comme une morte-vivante. Je prends de mauvaises décisions. Je néglige mes amis, ma famille, mon travail, ma santé, pas mal tout. J’ai même été congédiée d’un contrat.

Cette année-là, j’ai pris une solide descente aux enfers. Les trous de mémoire s’accumulent, mon bon jugement s’est volatilisé, ma personnalité s’efface… j’étais devenue un fantôme de moi-même.

Être dépendante à l’alcool, ce n’est pas blanc ou noir. C’est un très grand spectre et moi je me suis rendue au bout de celui-ci.

Mes proches s’inquiétaient sérieusement pour moi, mais j’étais tellement enfouie profondément dans le tourbillon de mon mal de vivre que je n’y voyais pas clair, mais pas clair du tout. Et oui, j’ai essayé maintes et maintes fois de “contrôler” ma consommation, de modérer. J’ai fait des mini-désintox de quelques jours/semaines pour me prouver que j’avais le contrôle, mais quand je me remettais à boire, c’était pire encore. Je me creusais un beau grand trou et au fin fond de mon âme, j’en étais consciente. C’était grave, et dangereux. J’avais besoin d’aide, ou j’allais mourir avant mes trente ans. Être dépendante à l’alcool, ce n’est pas blanc ou noir. C’est un très grand spectre et moi je me suis rendue au bout de celui-ci. Il a fallu que je touche mon bas-fond pour que je me choisisse, que je regarde ma maladie en pleine face et que je lui dise de crisser son camp pour de bon.

Quand j’ai enfin compris que je voulais sauver ma propre peau, je suis allée chercher de l’aide. Je crois qu’il n’existe pas qu’une seule solution absolue ni de formule magique pour traiter cette maladie. Pour ma part, ce fut une combinaison de réunions chez les groupes d’entraide, des thérapies de groupe intensives, énormément de lecture, et surtout, le soutien et l’amour de mes proches. Ma famille et mes vrais amis m’aiment toujours, même après avoir vu la version la plus laide de moi-même, et les mots m’échappent pour exprimer ma gratitude. Comme je suis choyée.

Je suis gâtée pourrie par la vie et je l’ai toujours été, alors pourquoi me suis-je laissée engloutir par le monstre de la dépendance?

Quand je repense a tout ça, j’ai l’impression que cette fille n’était pas moi. Que cette pauvre triste personne pathétique était une étrangère qui avait sérieusement besoin d’être secourue. Pourtant, c’est bel et bien moi, Eva, qui a vécu tout ça. J’étais malade et oui, j’avais besoin d’aide. Pourquoi suis-je tombée dans les griffes de la dépendance, tout comme des millions d’humains partout dans le monde? Surement une combinaison de plusieurs facteurs, comme la génétique, comme le fait que l’alcool soit la deuxième drogue la plus addictive au monde. C’est pas moi qui invente ça.

Je me suis longtemps sentie honteuse d’en être victime car j’ai toujours eu tout pour être heureuse. Je suis gâtée pourrie par la vie et je l’ai toujours été, alors pourquoi me suis-je laissée engloutir par le monstre de la dépendance? Je me suis posée la question mille et une fois, mais je crois que ça demeurera toujours un mystère, et je suis en paix avec ça. L’univers m’a envoyé une méchante grosse tempête et j’ai choisi de la traverser, voilà. J’ai choisi de me battre.

Dépendante un jour, dépendante toujours?

Après un an d’abstinence en 2016, puisque j’allais beaucoup mieux mentalement et physiquement, j’ai tenté de renouer avec l’alcool.

Mauvaise idée.

Mes démons et mes comportements excessifs sont revenus au galop. C’est simple: l’alcool n’est pas pour moi. Jamais, même pas une goutte, en aucun cas, jamais jamais jamais. Point final. Cette expérience fut une révélation pour moi: l’abstinence est ma solution. Essayer de boire de façon “contrôlée” pour moi et pour beaucoup d’alcooliques, c’est comme si on me demandait de prendre des

demi-respirations. C’est douloureux, dangereux, torturant et franchement, c’est jouer avec ma vie. Le fait de supprimer l’option de boire, c’est libérateur.

Je crois aux leçons, à l’apprentissage, je crois que nos expériences nous solidifient, nous ouvrent l’esprit, nous permettent de croitre, mentalement et spirituellement, de grandir, de devenir de meilleures versions de nous-mêmes, d’apprécier la vie davantage.

En terminant

Je ne suis ni médecin, ni thérapeute, ni experte en toxicomanie mais tout ce que j’espère, c’est aider des personnes qui se reconnaitront un peu (ou beaucoup) dans mon témoignage, et qui iront chercher de l’aide. L’alcool ou l’éthanol, c’est une drogue. Tristement, on a tendance à l’oublier, ça.

Au moment d’écrire ces lignes, je suis toujours chanteuse et je fais partie d’une tournée internationale a 150 spectacles par année. Je suis chanceuse, choyée, privilégiée. Quotidiennement, je tente d’énumérer au moins trois choses pour lesquelles je suis reconnaissante, ça me garde bien ancrée. J’ai aussi apporté pleins de livres avec moi, j’adore surtout lire des autobiographies et des témoignages de toutes sortes de gens qui ont eux aussi été victimes de dépendance.

L’alcool n’est jamais loin, peu importe si je suis en tournée ou à la maison, en voyage, en groupe ou toute seule. C’est toujours très accessible et ça serait beaucoup trop facile pour moi de replonger dans le tourbillon. C’est un choix quotidien que j’ai le privilège de faire. Je choisis de vivre ma vie sans cette drogue, et c’est un soulagement total. Ça goûte la liberté.

Quand on me demande pourquoi je ne bois pas d’alcool, je réponds simplement que ça ne me va pas. Et quand les gens insistent, je leur demande en blague pourquoi eux ne consomment pas d’héroïne? LOL.

J’ai fait du mal à moi-même, à mes proches, et encore aujourd’hui je travaille sur le lâcher-prise et sur le pardon de soi. Ceci dit, je ne regrette rien de mon parcours. Je crois aux leçons, à l’apprentissage, je crois que nos expériences nous solidifient, nous ouvrent l’esprit, nous permettent de croitre, mentalement et spirituellement, de grandir, de devenir de meilleures versions de nous-mêmes, d’apprécier la vie davantage. En toute honnêteté, même si j’ai vécu ma propre version de l’enfer, j’en suis infiniment reconnaissante. Sans ça, je ne sais pas si aujourd’hui je serais aussi consciente de la gratitude que j’éprouve envers la vie.

Je suis en bonne santé. Je suis amoureuse. Je suis bien dans ma peau. Je suis heureuse.

J’ai retrouve ma joie de vivre de quand j’étais enfant. Je me suis remise à chanter des notes aigües sans raison! 😉

Ça, c’est le cadeau de ma vie.

Merci de m’avoir lue.

Eva xx