Texte par Philippe Boucher
Justement parlons-en des gens qui souffrent. En fréquentant assidûment la Bibliothèque Nationale, j’ai dû passer par le Square Émilie-Gamelin, ce laboratoire de souffrance à ciel ouvert que l’on évite du regard.
Je reviens à Montréal. J’ai quitté le doux confort des Laurentides, le son du silence et le bruit du vent pour la tornade montréalaise. Ouf! Quand je pense au « beat » de la chanson d’Ariane Moffat sur le même thème, je ne sais où elle a pu trouver dans notre métropole le calme qui anime cette magnifique mélodie!
Je reviens à Montréal. Les sourires charmants du Plateau, les jeunes familles dans Rosemont, le parfum du Marché Jean-Talon mais aussi les milliers de gens anonymes du métro qui contemplent leur téléphone esquissant quelques émotions de façon sporadique. Des gens qui rient, des gens qui pleurent, des gens qui souffrent. Justement parlons-en des gens qui souffrent. En fréquentant assidûment la Bibliothèque Nationale, j’ai dû passer par le Square Émilie-Gamelin, ce laboratoire de souffrance à ciel ouvert que l’on évite du regard. Cette micro-société avec ses propres règles. Les odeurs de drogue encore illicite qui se mélangent avec l’alcool et la chaleur, le tout accompagné d’une bonne dose d’ignorance de la part des passants qui préfèrent croire que cette souffrance n’existe pas.
Justement parlons-en des gens qui souffrent. En fréquentant assidûment la Bibliothèque Nationale, j’ai dû passer par le Square Émilie-Gamelin, ce laboratoire de souffrance à ciel ouvert que l’on évite du regard.
Ces gens qui peuplent ce petit bout du monde sont les enfants de quelqu’un, les parents de quelqu’un. Ils sont anonymes à nos yeux mais ils représentent une source d’inquiétude pour beaucoup de citoyens qui, de façon tout aussi anonyme, souffrent en silence.
Je les comprends. Admettre que ça existe implique que l’on doit faire quelque chose. Admettre que l’on doit faire quelque chose commande qu’on sache quoi faire. Devant l’absence de possibilités, la renonciation et l’ignorance demeure la meilleure solution. Or, même si c’est difficile, il est temps de se poser la question : comment peut-on contribuer à améliorer le sort de notre prochain?
Ces gens qui peuplent ce petit bout du monde sont les enfants de quelqu’un, les parents de quelqu’un. Ils sont anonymes à nos yeux mais ils représentent une source d’inquiétude pour beaucoup de citoyens qui, de façon tout aussi anonyme, souffrent en silence. Je le sais car au cours de mes différentes marches autour du square, j’ai rencontré des partenaires que j’ai côtoyés en thérapie. J’avoue, ça fesse.
J’en ai rencontré trois qui étaient des exemples en thérapie. Des gens qui voulaient s’en sortir, des parents aimants et des enfants remplis d’espoirs. Ils sont là, retournant dans ce carré, qui est bizarrement une sorte de sécurité suite à l’échec ou l’abandon de leurs rêves de sobriété. Maudit que ça m’écoeure de voir cette souffrance dans le regard de gars que j’aime beaucoup et surtout mon impuissance face à leur choix. Je pense aussi aux personnes qui passent chaque jour devant ce carré de souffrance dans la pure indifférence. Je repense ensuite à la citation de Martin Luther King : « Ce qui m’effraie, ce n’est pas l’oppression des méchants ; c’est l’indifférence des bons ».
Il est temps que les bons se lèvent non pas pour se battre contre les méchants… mais pour sauver les bons qui meurent dans l’indifférence.
Cette indifférence qui est plus facile à supporter que voir la réalité. Cette indifférence de gens bien qui aiment se conforter en essayant d’éviter un regard humain sur la toxicomanie et ses impacts. Cette indifférence qui rend plus facile d’accepter qu’un membre de notre famille ou un ami proche pourrait un jour vivre cet enfer car oui c’est l’enfer. Vivre dans la rue, esclave de la générosité et/ou du crime pour survivre dans une jungle à ciel ouvert. Il serait pourtant si facile de donner un coup de pouce (pour ne pas dire un coup de pied au cul) à des gens qui ont tout pour réussir à qui on donne les outils en thérapie sans donner le coffre nécessaire.
Il est anormal que l’aide aux toxicomanes qui veulent demeurer toxicomane soit plus élevée que pour celui qui désire s’en sortir. Il est anormal que l’on refuse de faire le débat sur le fait que 4000 personnes ont trouvé la mort durant la dernière année à cause de la crise des opioïdes. Il est anormal que l’on évite de se questionner comme société sur le fait que cette crise a tué davantage de gens l’an dernier que le terrorisme entre le 11 septembre et aujourd’hui! Pourquoi?
Il est temps que les bons se lèvent non pas pour se battre contre les méchants… mais pour sauver les bons qui meurent dans l’indifférence.