Témoignage anonyme
Quelques fois par semaine, elle avait besoin de relâcher les tensions. La bouteille l’autorisait à s’apitoyer sur sa vie.
Lorsque j’étais toute petite, je me souviens vaguement d’un sentiment aigu que je ressentais au plus profond de mon âme. J’avais souvent l’impression d’être au mauvais endroit. Je voulais être chez les amis qui avaient des frères et sœurs alors que moi je n’en avais pas. Je regrettais de ne pas être au parc un soir d’été lorsqu’il y avait de la musique à l’occasion d’une fête de la ville. J’allais prendre des marches lorsque j’étais en visite chez ma grand-mère dans l’espoir de rencontrer d’autres enfants. J’avais à peine commencé ma vie que je regrettais les souvenirs mémorables que je n’avais pas.
Mon père avait un deuxième boulot en soirée alors je passais ces moments avec ma mère. Je l’aimais tellement ma maman adorée, mais c’était une grande malade. Elle est décédée aujourd’hui. Elle a fait de son mieux pour m’élever et me donner toutes les chances de réussir. Quelques fois par semaine, elle avait besoin de relâcher les tensions. La bouteille l’autorisait à s’apitoyer sur sa vie. Sa famille devenait donc bien hypocrite! Mon père était tellement égoïste! Le bon temps était derrière elle. Ou encore, ce serait mieux que le bon Dieu vienne la chercher qu’elle disait. J’ai l’impression que je n’étais pas encore née, que ma mère avait déjà renoncé au bonheur.
Il y a eu des périodes pires que d’autres. Dans les cinq dernières années, ce n’était plus pour me faire aimer que je buvais, mais plutôt pour me détester.
Avec le recul, je sais que j’ai en commun avec ma mère ce fameux mal de vivre, et surtout la maladie de l’alcoolisme. À l’âge adulte, j’ai commencé à me faire violence en me tenant avec des gens qui ne me respectaient pas. J’avais tellement besoin de me faire aimer et de vivre d’intensité! Mes vrais amis ne comblaient pas certains besoins que j’avais. Être moi-même c’était trop ennuyeux. J’ai vite compris que l’alcool me permettait d’être beaucoup plus captivante. Je pouvais être qui je voulais le temps d’une soirée et prendre toute la place que je voulais. Quel high indescriptible! De cette façon, je me disais que j’arriverais peut-être à capturer tous les beaux souvenirs. En réalité, j’étais en train de cumuler des regrets. Et j’ai poursuivi ma déchéance une bonne quinzaine d’années. Il y a eu des périodes pires que d’autres. Dans les cinq dernières années, ce n’était plus pour me faire aimer que je buvais, mais plutôt pour me détester.
Ça fait 9 mois que j’ai arrêté de consommer de l’alcool. C’est une décision que j’ai prise la journée de mon anniversaire. La veille je m’étais prise une autre cuite seule à la maison. Ça faisait un mois que la pandémie avait commencé. Je faisais beaucoup d’anxiété. Je me sentais perdre le contrôle. Je commandais de la bière de microbrasserie, par exemple 15 grosses cannettes. À partir du moment où je prenais ma première gorgée, j’enchainais les autres à une vitesse fulgurante! Moi qui voulais faire des réserves pour ne pas à avoir à en recommander trop vite, je me plantais à chaque fois. Après les cannes de bières, c’était une bouteille de vin. Je ne savais plus m’arrêter. Je devais travailler les lendemains. C’était la catastrophe! Souvent, lors des lendemains de veille j’avais l’impression que je n’étais plus dans mon corps. Les pensées négatives se multipliaient et j’avais le sentiment que je perdais la boule et que j’allais mourir. J’ai d’ailleurs déjà appelé le 911. Quelle honte! On m’avait transféré à une travailleuse sociale d’un organisme de la région qui avait passé de longues minutes au téléphone avec moi pour me faire redescendre. Elle m’avait demandé de décrire un objet que je voyais, ce que j’avais fait de ma journée, ce que j’avais mangé. Au fil du temps, j’ai développé mes petits trucs pour arriver à passer à travers de mon aliénation. J’ai souvent fait infuser de l’huile essentielle, allumé une chandelle, mis de la musique super zen et écrit dans mon beau cahier.
Des larmes coulaient sur mes joues. De façon spontanée, je me suis mise à implorer l’au-delà pour ne plus jamais boire et revivre une telle anxiété. J’ai alors vu mes ancêtres.
La journée de mon anniversaire cette année, c’était un autre lendemain de veille. Lorsque je me suis levée, mon mal de vivre était si poignant. J’ai réalisé que je n’en pouvais plus de cette vie! Je n’avais pas envie de faire les choses qui normalement auraient dû me faire plaisir. Quelle honte et culpabilité je ressentais! Je me souviens pour me minder que j’ai refait mon petit set up dans ma chambre que j’appelais mon safe place. Des larmes coulaient sur mes joues. De façon spontanée, je me suis mise à implorer l’au-delà pour ne plus jamais boire et revivre une telle anxiété. J’ai alors vu mes ancêtres. Chacun des membres de ma famille décédés s’ajoutaient un à un au bout de mon lit, dont ma maman adorée. C’était comme si mes anges gardiens venaient à mon secours et me donnaient leur parole de m’aider à m’en sortir. La même journée ma petite voix m’a suggéré de googler le nom d’une fraternité connue. J’ai appelé le soir même. Quel beau cadeau que je me suis fait!
J’ai compris enfin que l’alcoolisme est une maladie et que je ne suis pas la seule à en souffrir. J’ai admis ma défaite et j’ai compris que je n’aurai jamais le contrôle dessus. C’est correct! C’est l’un des deuils les plus difficiles de ma vie, mais en même temps le plus bel aveu que je puisse faire. Aujourd’hui je réapprends à m’aimer, petit à petit. Et je ne fais plus de crise d’anxiété.
Merci la vie!