Texte par Carole M.
L’unique talent que je me permettais était celui de la gentillesse. J’avais en auréole le foulard de Mère Theresa, les couilles de Superman pour protéger les oubliés et la naïveté du Chaperon Rouge, la tête à deux pouces des canines d’un loup déguisé d’un simple chapeau en dentelle tricotée.
Suis-je réellement, en cet instant, l’unique narratrice d’un chapitre de ma vie? Du bout des doigts, je tambourine les mots qui se maquillent de liberté. Mon parcours, très incolore lorsque je le compare, est cruellement intense dans ma profondeur et dans ma sensibilité.
Cadette d’une famille de quatre enfants, j’ai compris très tôt la bienveillance et l’empathie.
Ma grande sœur, éclose un hiver avant moi, presque jumelle de chair, avait l’apprentissage en difficulté. Moi, j’avais la facilité. Les années primaires au bout des doigts, je montais mes classes à grandes enjambées. Ma frangine, plus discrète, tirait ses leçons dans des groupes adaptés. Déjà, à sept bougies, je camouflais mes aptitudes pour protéger son amour-propre.
Cercle vicieux d’une petite sœur qui surprotège et qui grandit en offrant sa place aux autres aussi.
L’unique talent que je me permettais était celui de la gentillesse. J’avais en auréole le foulard de Mère Theresa, les couilles de Superman pour protéger les oubliés et la naïveté du Chaperon Rouge, la tête à deux pouces des canines d’un loup déguisé d’un simple chapeau en dentelle tricotée. Gagnante du trophée de l’Humanité au bal des finissants, je portais bien le costume du cœur-sur-la-main.
Je noyais l’angoisse pour la faire taire, mais il m’a fallu beaucoup de temps avant de comprendre qu’elle s’animait dans l’ivresse. Le rire autrefois comme une seconde peau, s’enfargeait dans des idées sombres.
Mais à l’aube de ma vingtaine, les désillusions commencèrent à s’installer. Le Cégep, moment décisionnel d’un gagne-pain futur, m’enrôla aveuglément dans les sciences humaines pour suivre le troupeau. Une crise identitaire, un peu tardive, justifia de mes parents un ton accusateur envers ma personnalité et motiva mon envol en appartement. Et ce fameux prince charmant, pectoraux d’orgueil sur un canasson en rut, n’avait laissé, comme seule empreinte sur notre amour imaginaire, que des feux sauvages et une fusillade de sperme qui avait terni ma robe blanche et voilé ma valeur.
Vingt-et-un ans : le regard pour moi-même toujours vers l’extérieur, un travail à temps plein dans un restaurant, une inaptitude à comprendre ce que la vie attendait de moi et un regard parental qui doute, firent exploser les crises d’angoisse. Étau clôturant ma gorge de fumeuse, soubresauts anarchiques de mes membres, cœur en cavale : le cauchemar d’une mort imminente. La détresse d’une vie en sourdine avait finalement piétiné ma vitalité. Image d’une vendange bafouée ou l’espérance d’un grand cru avait finalement embouteillé une diarrhée.
Je cognais la vie à grandes lichettes d’alcool et de soirées sans souvenir, afin que s’évanouissent ces incompréhensions d’une logique qui manquait à l’appel. J’avais l’ardeur du mépris collée au sternum et qui coulait sur mon cœur.Je noyais l’angoisse pour la faire taire, mais il m’a fallu beaucoup de temps avant de comprendre qu’elle s’animait dans l’ivresse. Le rire autrefois comme une seconde peau, s’enfargeait dans des idées sombres.
Je me suis battue. Affronté sans relâche ce sentiment de devenir folle et cette frayeur de mourir. Image d’une camisole de force transformée en zombie qui tente de kidnapper ma tête.
Je me suis fractionnée. Coupée du monde à chacune de ces crises de panique. Prisonnière des salles de bain publiques, ces refuges m’ont reconnectée avec mon essence à grands coups d’essoufflement et de retour au calme. Assise, en petite boule, le visage effleurant la fraîcheur d’un bol de toilette, j’ai appris à tourner mon regard vers mon importance. Je n’aurais jamais pensé qu’avoir la tête si proche des déjections pouvait insuffler un élan libérateur de mes propres besoins.
Période noire, de serrements de cœur et d’alcool.
La fuite géographique s’invita. Cette fausse liberté accrochée à mon sac à dos avait trouvé écho pour calmer mes paniques. Je ne savais pas encore prendre position dans mon identité, mais je n’avais plus ce fardeau de plaire ou, au mieux, celui de déplaire. Le silence chuchotait des instants sereins.
De l’Ouest canadien à la Californie, de Baie-Comeau à la Floride, sinueux carrefours giratoires porteurs d’expériences. Ne pouvant pas fuir plus longtemps mes apprentissages sur cette Terre, j’ai senti la peur revenir au galop. Longeant les murs pour me protéger d’une jambette ou d’un étourdissement, l’angoisse était revenue. Je me suis battue. Affronté sans relâche ce sentiment de devenir folle et cette frayeur de mourir. Image d’une camisole de force transformée en zombie qui tente de kidnapper ma tête.
Quinze années à tenter de maitriser ces malaises en les flattant de paroles sécurisantes. Quinze ans à essayer de noyer mes peurs et mes malaises dans des tornades de piquette à rabais.
Combat ultime de pensées qui s’entrechoquent :
Ça va Bien! Respire! Je vais mourir! Non, tout va bien! Calme- toi. Je peux plus respirer, je vais m’évanouir. NON, tu n’as rien. Ma vision s’embrouille, je ne veux pas mourir dans une épicerie! Ferme tes yeux, écoute ta respiration! Mon cœur bat trop vite, je vais faire une crise cardiaque!
Respire!
Quinze années à tenter de maitriser ces malaises en les flattant de paroles sécurisantes. Quinze ans à essayer de noyer mes peurs et mes malaises dans des tornades de piquette à rabais. Cette peur de m’éteindre était enracinée dans mes tripes depuis toujours. M’a-t-elle persécutée ainsi toutes ces années pour me guider vers des morceaux d’éveils? J’ose sincèrement y croire.
Il y a six ans, la mort n’est pas que venue chatouiller mes angoisses. Elle a muselé mes mots qui lui étaient destinés. À la pénombre d’un jour de mai, Daniel a repris sa liberté emprisonnée dans une tumeur au cerveau. Mon frère, ce guerrier pacifique, a bravé l’impossible pour exister. Déchirures incompréhensibles, j’étais incapable de lui écrire mon amour. Mes paroles étaient trop simples, le poids de ma douleur ne trouvait pas les larmes appropriées.
Aujourd’hui, la mort ne m’angoisse plus. Elle a pris racine beaucoup plus profondément dans mes entrailles. Elle m’a condamnée à exister.
Mes recueils s’ouvraient et se refermaient sur des pages blanches immaculées comme la lumière du paradis.
Et moi, comment avais-je pu vivre tous ces printemps avec cette crainte de périr, alors que j’avais toujours eu de la santé plein les poches?
Le dernier repos ne s’invente pas, il n’est pas un mirage, ni un jeu de l’esprit. Il est authentique, déchirant et meurtrier.
Aujourd’hui, la mort ne m’angoisse plus. Elle a pris racine beaucoup plus profondément dans mes entrailles. Elle m’a condamnée à exister. Je ne peux offrir meilleur hommage à mon frère que d’acclamer la vie avec une grande intensité, dans l’amour, la compassion, le respect et la sobriété, malgré les incertitudes et les épreuves.
Image d’un cœur qui bat et qui pleure, qui pleure et qui bâtit.