Amoureuse d’un alcoolique fonctionnel

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Témoignage anonyme

Je suis amoureuse d’un alcoolique fonctionnel. Un gars généreux, gentil, attentionné, attentif, serviable, ordonné, intelligent, drôle, sociable, passionné, curieux, cultivé, investi, adorable, beau, grand, fort. Parfait? Presque. Ce qui est difficile dans le fait de vivre avec un alcoolique fonctionnel, c’est de se remettre en question, de se faire remettre en question. Il boit? Oui. Beaucoup? Oui. Tous les jours? Non. Le matin en se levant? Non. Il a perdu son travail à cause de l’alcool? Non. Il est agressif ou méchant quand il boit? Non. Il met sa vie en danger en conduisant soul? Ça lui est arrivé.

Mon entourage ne comprend pas. Il le trouve gentil, à l’écoute et de party. Il ne semble jamais saoul car il se fait une fierté de rester droit même après deux bouteilles de vin et quelques shooters au travers. Il ne se ventera jamais de sa consommation, au contraire, il va cacher son état et la quantité qu’il a bu. C’est d’ailleurs ce qui me différencie de lui, moi qui n’ai pas de problème d’alcool, quand je suis saoule, je l’annonce haut et fort. Lui, il n’est jamais saoul. Parfois il admet qu’il est un peu pompette…Il n’avouera jamais qu’il en est à sa huitième bière après trois verres de vin et qu’il prend des gorgées de fort en cachette à chaque fois que je vais aux toilettes, qu’il finira la bouteille car tant qu’il y a de l’alcool, la soirée n’est pas finie.

Vivre avec un alcoolique fonctionnel c’est se demander si ce n’est pas moi qui exagère, qui m’inquiète pour rien. Jusqu’au jour où il t’avoue tout, tous ces moments où il a une rage folle de boire, que quand il commence, il ne peut plus s’arrêter. Qu’il consomme dans ton dos pour ne pas te faire peur, pour ne pas que tu le freines. Il m’explique que quand il rentre à 5, 6, 7 heures du matin, ce n’est pas pour m’inquiéter, il ne veut pas me faire peur ni me blesser, il ne peut juste pas se contrôler. Il ne se rappelle plus de la dernière fois où il a été malade tout le week-end à ne plus pouvoir bouger tellement il avait une migraine, à ne pas pouvoir prendre de médicaments pour se soulager tellement il vomissait. Puis, il arrête de boire, d’un coup et il se rend compte qu’il ne pourra jamais être un buveur occasionnel.

Ce n’est pas parce qu’il arrête de boire qu’il n’y a plus d’impact sur nos vies…

J’ai un deuil à faire : ne plus boire avec mon chum. Parce que boire un verre, c’est faire quelque chose, c’est une activité, c’est l’fun. On s’assoit, on ouvre une bouteille, on jase, on chante, on danse. Mais ça ne sera plus possible, car après le plaisir, venait l’abus, et pour moi, la peur, la peine, l’inquiétude d’une autre journée gâchée le lendemain, de le voir souffrir.

Il a un deuil à faire car l’alcool, c’était aussi agréable, une belle façon de se détendre et de s’amuser. Mais là, il doit apprendre à gérer sa soif, la contrôler, l’accepter et attendre qu’elle passe. Quand un coup dur survient, la soif peut devenir plus forte que tout, l’envie de la contrôler disparaît, il ne reste que le besoin de s’enivrer pour que ça passe. Viens donc la rechute et le déni : « Cette fois, tout ira bien, j’aurai du fun, je me contrôlerai, je boirai sainement ». Jusqu’à ce que je me réveille à 5h00 du matin seule dans notre lit. Il travaille dans la restauration, un domaine où il est si facile de boire et de faire la fête après le travail. Et c’est le cercle vicieux de l’abus qui recommence, la perte de contrôle suivi des conséquences physiques et psychologiques du lendemain de veille. Et la promesse d’arrêter de boire à nouveau qu’il se fait à lui, mais aussi à moi. Il est lucide, il est conscient de son problème et il est capable de se remettre en question, d’en parler, de vouloir mieux gérer, mieux vivre avec cette maladie.

Vivre avec un alcoolique fonctionnel c’est souvent se sentir inquiète, avoir peur, s’est aussi se sentir seule, incomprise, manipulée, fâchée, triste, impuissante. C’est également se sentir empathique, protectrice, aidante. Souvent trop, et il faut lâcher prise. Quand et comment lâcher prise quand notre conjoint a cette maladie et que personne ne comprend ce que nous vivons? Quand et comment lâcher prise quand la société nous encourage tant à boire et nous juge quand on ne boit pas. Quand et comment lâcher prise quand on aime, qu’on veut aider mais pas contrôler, être sur ses gardes mais sans trop s’inquiéter. Vivre avec un alcoolique fonctionnel, c’est vivre dans les intensités, les extrémités et tenter de trouver un équilibre jour après jour. Cette maladie est une de ses caractéristiques, ce n’est pas tout son être, il a tant de qualités, tant de points sur lesquels on se rejoint, tant de bons, doux et beaux moments. On est bien ensemble, il en vaut la peine. Car je veux, je fais le choix de continuer à partager sa vie, de vivre auprès de lui, de l’aimer plus fort que tout, depuis 13 ans, et pour longtemps.