Reconnaissance

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Texte par Luc Breton

L’excès est un pétard mouillé qui, à force d’être rallumé, ne produit plus d’étincelles, éteint sa propre flamme et enlève la lueur de nos yeux.

Lundi 20 mai, jour férié, un congé pour relaxer… qui s’est avéré désastreux dès ma sortie du lit. Une troll m’a insulté sur les réseaux sociaux, mon chien a embrassé un porc-épic lors de la promenade quotidienne. De longues minutes à enlever avec des pinces les pics au visage et  aux pattes, du sang partout, le chien qui se débat. En prime, il a plu toute la journée. Vous pensez que j’ai remercié le ciel de me faire vivre une si belle expérience et que j’ai crié Namaste de toutes mes forces. Vraiment pas! Mon naturel colérique s’est manifesté à la puissance 10. Mais le calme a vite fait place à l’énervement parce que je sais que me saouler dans la colère, le sport, la nourriture, le travail, le sexe, la drogue et la boisson apaise les tensions intérieures… pour un temps limité, jusqu’à la prochaine crise déguisée en faux besoin. Comprendre que toute forme d’excès est synonyme d’ivresse et faire face à son ombre est déstabilisant.

L’excès peut donner l’impression d’être vivant et endormir la peur d’une vie manquée. Il peut aussi épuiser le corps, le mental et mener au découragement. L’excès est un pétard mouillé qui, à force d’être rallumé, ne produit plus d’étincelles, éteint sa propre flamme et enlève la lueur de nos yeux. La consommation mène à l’illusion et n’est qu’un miroir aux allumettes.

Le rétablissement est jalonné de hauts et de bas, d’histoires qu’on se raconte et de scénarios qui n’existent que dans nos pensées.

Une alarme a sonné pour moi il y a 34 ans et m’a avisé d’un danger éminent si je ne bougeais pas. Les astres se sont alignés et le bon «timing» n’a fait que donner le signal de départ et je suis sauté dans un train en marche. Personnellement, je ne crois pas au simple pouvoir de la vertu pour renverser une situation. Le fruit doit être mûr. Les choses changent quand elles sont mûres, mais elles mûrissent plus vite quand on les éclaire». Pierre Foglia.

Transformer le vinaigre en miel est un long travail sur soi. La route à emprunter pour aller vers la lumière semble insurmontable jusqu’au jour où se mentir à soi nous empoisonne la vie … et le corps. D’abord, accepter son impuissance face à la situation et assumer ses failles, cela allège le poids sur les épaules. Le rétablissement est jalonné de hauts et de bas, d’histoires qu’on se raconte et de scénarios qui n’existent que dans nos pensées. Parfois même on pense que la vie nous récompensera pour notre bonne action. Mais on comprend vite que la vie ne nous doit rien et que rien ne fonctionne au mérite.

Être alcoolique n’a rien enlevé de ma valeur. Cette valeur parfois enfouie sous des couches de honte et de culpabilité s’est réveillée lentement, très lentement, et un homme assumé en tire profit aujourd’hui.

Être sobre ne m’a pas épargné des conflits familiaux, des échecs au travail, des crises existentialistes mais m’a permis de reconnaître que mes atouts n’avaient pas été effacés par les abus, mais au contraire attendaient de reprendre vie, sans oublier le potentiel de créativité dont j’ignorais l’existence. Ma démarche dans la sobriété m’a rendu plus humain, plus tendre, plus attentif à mes besoins et à ceux des autres. Développer de la bienveillance à notre égard est essentiel pour y arriver. Mais je ne suis pas un spécialiste en la matière. Je traverse périodiquement des rechutes de dénigrement de ma personne, de détestation de qui je suis. Le syndrome de l’imposteur ne disparaît pas par enchantement et je ne peux effacer mon passé. Les difficiles périodes de l’enfance et de l’adolescence se manifestent parfois et je dois me battre contre mes fausses croyances qui risquent de devenir des certitudes. Ce n’est pas un travail de tous les instants, mais je dois être vigilant. Mes démons et les méandres de mon mental sont encore actifs et sévissent sans crier gare. Je dois me rappeler que je ne suis plus qui j’étais, je ne suis plus où j’étais non plus, que je ne suis plus en danger, que tout passe, et que je ne serai jamais «le voisin d’à côté», celui qui est parfait, qui possède toutes les qualités et que tout le monde aime.

Je remercie la vie quotidiennement pour toute cette chance et ces privilèges. J’ai 68 ans, en pleine santé, en couple depuis 32 ans (on s’est marié il y a 3 ans), je vis à la campagne, j’ai des amitiés de longue date.  Être alcoolique n’a rien enlevé de ma valeur. Cette valeur parfois enfouie sous des couches de honte et de culpabilité s’est réveillée lentement, très lentement, et un homme assumé en tire profit aujourd’hui.

À celles et ceux qui doutent, je pense à vous. Je vous souhaite de découvrir votre potentiel et d’y faire confiance. Jamais, ô grand jamais, je n’aurais pu m’imaginer une aussi belle vie.