J’aurais dû avoir peur bien avant

Partagez

Texte par “Isabelle-ne-boit-plus-son-verre-comme-les-autres”

Ce que je comprends maintenant, c’est que j’aurais dû avoir peur bien avant ça.

Je m’enligne sur mon 7e mois de sobriété. Une sobriété précipitée par un avertissement strident que mon corps en avait ras-le-pompom, et qu’il ne pouvait plus toffer la run. Disons qu’il n’a pas attendu que je me paye des shooters d’Ensure au CHSLD. Je me considère encore jeune, ce qui est davantage troublant sur la gravité des blessures, et en même temps, le meilleur moment pour me faire comprendre que j’aurai peut-être la chance de découvrir les joies de sortir un REER un jour.

Quand on boit, on pense que c’est juste pour le fun et pour “évacuer le stress”, mais on ne comprend pas que quand on boit toujours en excès, ça se dirige unilatéralement vers l’échec. On y perdra lentement mais sûrement nos liens, notre argent, le respect de nos amis et famille, ainsi que notre santé. À la fin, tout tombe en morceaux, c’est inévitable. Tôt ou tard, notre beat ne tiendra plus la route, et notre conjoint(e) sera frustré(e), notre patron se méfiera de nous et nos amis se tanneront de notre petite pièce de théâtre de sous-sol d’église d’la paroisse. C’est pas trop l’image que j’ai le goût de mettre sur une carte pour ma grand-mère à Noël.

J’aurais dû avoir peur quand je suis passée de la bouteille, au litre, puis au vinier pour être certaine de ne pas en manquer.

J’ai eu la “chance” d’avoir assez peur. J’ai eu la chance d’avoir quelque chose qui me pousse et me soutient plus fort que ma soif. Ce que je comprends maintenant, c’est que j’aurais dû avoir peur bien avant ça. J’aurais dû avoir peur quand j’ai commencé à avoir la jugeote d’un écureuil qui s’apprête à traverser la rue à la fin de beaucoup trop de soirées. J’aurais dû avoir peur quand j’ai commencé à connaître l’horaire des employés de la SAQ et des p’tits commis de dépanneur au coin de la rue. J’aurais dû avoir peur quand mon public cible de cruisage avait autant de potentiel que celui d’une patère. J’aurais dû avoir peur quand je suis passée de la bouteille, au litre, puis au vinier pour être certaine de ne pas en manquer. J’aurais dû avoir peur qu’on se fait quasiment une fierté de passer au travers les symptômes de lendemain de veille comme le prince à travers la forêt de ronces pour aller embrasser la belle au bois dormant après cent ans de coma éthylique (on doit avoir la même haleine en tout cas). Ces symptômes de lendemain de brosse sont pourtant le signe que le corps est gravement empoisonné, et qu’il s’active littéralement à nous sauver la vie à chaque fois que l’on se donne à une bière d’expérience. Le corps n’est pas fait pour dealer avec ça de façon répétitive. Et c’est pour ça qu’il se dégrade, invariablement. Les enzymes qui détoxifient notre corps sont comme les gars de la shop à la fin du shift de nuit. Y’ont hâte de finir, pis sont rendus un p’tit peu moins vaillants à la fin du quart, pis y’en a toujours un qui ralentit la chaîne de transformation avec l’approche de sa retraite.

Je comprends l’étendue des dommages, ainsi que la chance que je me donne de m’en sortir.

Aujourd’hui, je comprends mieux les mécanismes qui soutiennent l’excès, et qui font que dans mon p’tit casseau de cerveau, ça ne s’arrêtera jamais à “juste un verre”. Je sais que je ne peux même pas me permettre “la modération”. Y’a dans mon cerveau des vendeux de toutous comme à l’Expo, ceux qui me chuchoteront toujours à l’oreille “Pssst, viens ici! J’vas t’faire un deal juste pour toi mon ami! Allez!, Essaie-le juste une fois!”. Ce qui prend du temps à comprendre, c’est qu’on les aura jamais, les gros toutous. La game est truquée pour que tu repartes chez toi juste avec des plumes pour accrocher sur ton miroir de char, pis ça va t’avoir coûté pas mal cher du plumeau. Et le lendemain, tu recommences en te pensant toujours plus fin que la game.

Aujourd’hui, j’ai peur. Et c’est une bonne chose. Je comprends l’étendue des dommages, ainsi que la chance que je me donne de m’en sortir. Je comprends que la sobriété ne règle pas tous mes problèmes, mais au moins, je suis consciente qu’elle me permet d’arrêter d’aggraver les choses.