Coming out

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Texte par Steeve Piché

Voici deux situations qui m’aideront à faire mon coming out.

Situation fictive :

Moi, à la caisse d’une station-service:-

– Salut, c’est pour payer la pompe 5, s’il-vous-plaît.

– Oui monsieur, 43,55$. Allez-vous prendre un Loto-Max avec ça?

-Non, merci.

-Un Célébration ?

-Non, c’est beau, je veux juste payer mon essence.

-Ok… aucune loterie ? Avez-vous un problème de jeu compulsif monsieur ? Vous vous abstenez de prendre des billets de loterie parce que vous avez un type de personnalité qui vous ferait vous ruiner dans les jeux de hasard et ainsi tout perdre ce que vous avez d’important à vos yeux ?

-Euh, non pas du tout. Je ne veux juste pas de billet de loterie.

Situation presque pas fictive :

Moi, chez un ami qui me dit:

-Hey, qu’est-ce que je te serre mon vieux chum? Vin rouge, vin blanc, bière ? J’ai mis la main sur une IPA que tu aimerais j’en suis certain!

-Je ne prendrai rien, merci.

-Ahah, non, sans joke! J’vais te servir la p’tite IPA dont je te parle, tu vas voir son petit côté agrumes est juste parfait.

-Merci mais je suis sérieux.  J’ai décidé d’arrêter de boire de l’alcool depuis un certain temps.

-Ben voyons donc, tu me niaises, t’es pas un alcoolique, t’as pas besoin d’arrêter de boire. Arrête-moi ça, on est vendredi soir, t’as sûrement aussi eu une semaine de marde comme moi, tu la mérites cette IPA là!

-Euh, non pas du tout. Je ne veux juste pas d’alcool.

Voilà donc, j’ai arrêté de boire.

J’y pensais depuis un certain temps. Je me suis outillé et j’ai foncé.

La première situation est complètement fictive et, je l’espère, totalement farfelue. Pensez-y. Fort probablement que si cette situation se présentait, vous trouveriez le commis plutôt bizarre, voire même déplacé. La deuxième situation est presque calquée sur la première. On y substitue les loteries par de l’alcool et, plus important, un commis inconnu par un ami. Cette deuxième situation est bien réelle pour plusieurs personnes qui, comme moi, ont choisi volontairement la voie de l’abstinence.

Ce qu’il y a de plus dur pour moi, c’est définitivement la justification de ce changement personnel que je dois assez souvent faire aux autres, proches et moins proches. Je pensais que la sobriété serait plus éprouvante physiquement et mentalement mais étonnamment, ça se passe relativement bien. C’est la sphère sociale qui en prend pour son rhume. Voici donc ce que j’aurais aimé répondre à l’ami de la situation presque fictive.

– Tu vois, cher ami, l’alcoolisme est une condition très complexe. C’est un mal très sérieux qui affecte beaucoup trop de gens, pour différentes raisons. Il est vrai que pour se sortir de l’alcoolisme, les alcooliques qui en ont assez et qui sont mûrs pour se sortir de l’enfer de leur maladie s’abstiennent de consommer le liquide de leur vice. Cependant, de rendre logique l’équation en sens inverse me parait un peu simpliste. A-t-on vraiment besoin d’être alcoolique pour arrêter de boire?

Comme plusieurs de mes semblables, l’alcool a fait partie de ma vie depuis la fin de mon adolescence. Une relation remplie de hauts et de bas, des soirées mémorables et des lendemains de veilles honteux. L’alcoolisme ne se diagnostique pas avec une radiographie, malheureusement. Il est difficile de grader l’alcoolisme, comme on peut le faire pour d’autres maladie. Dans mon cas, ce que j’aimerais que tu comprennes, cher ami, c’est qu’après plus de 20 ans de relation tumultueuse avec l’alcool, j’ai décidé que j’en avais assez. Une prise de conscience récente m’a fait comprendre que ce besoin que je me suis créé et imposé au cours des dernières décennies me limitait plus que je ne me l’imaginais. Sans trop m’en rendre compte, ma consommation d’alcool était pour moi une façon de pallier à mon trouble d’anxiété généralisé (double coming out). Sans que ma consommation ne m’empêche de fonctionner dans mon quotidien, disons que la présence de l’alcool dans ma vie m’éloignait du “moi optimal” que je veux maintenant incarner. Concrètement pour moi, à 38 ans, c’est d’être à la hauteur dans mes deux rôles les plus importants, ceux de papa et d’amoureux.

Ne t’y méprends pas mon cher ami, j’ai apprécié tous nos bons moments passés autour d’un verre, je ne peux pas le nier. Je fais une croix sur les bières de micros que j’affectionnais tant. J’ai un peu de nostalgie quand me reviennent des effluves de Tempranillo au nez. Mais crois-moi, j’ai un petit sourire de fierté quand j’affronte mes peurs et angoisses sans avoir recours à cette béquille. En plus, depuis que j’ai adopté la sobriété, le temps de qualité avec mes enfants et mon amoureuse est bonifié et ça, c’est pas mal précieux pour moi.

Comprends-moi bien, j’ai pris cette décision suite à une longue introspection. J’en suis venu à la conclusion que pour atteindre le niveau de bonheur et de bien-être auquel j’aspire, je devais retirer l’alcool de l’équation. Peut-être que de ton côté, tu peux atteindre ton niveau de bonheur et de bien-être en gardant cet élément dans ta vie. Ça te regarde, je te respecte. J’aimerais que tu ne t’entêtes pas à savoir si je suis alcoolique mais plutôt qu’on s’efforce à trouver ce qui nous unit, maintenant que l’alcool ne fait plus partie de ma vie.

Ceci étant dit, je vais te laisser, cher ami, déguster ta IPA. Ça me ferait quand même plaisir de discuter avec toi de ta semaine de marde.

La majorité des gens comprennent que cette décision personnelle ne peut être remise en question que par moi-même et je l’apprécie.

Bien sûr, et heureusement, les réactions de mon entourage sont généralement positives. Plusieurs de mes proches me félicitent et me supportent dans mon choix. La majorité des gens comprennent que cette décision personnelle ne peut être remise en question que par moi-même et je l’apprécie. 

Je souhaite que ce texte puissent aider et inspirer des gens qui veulent, comme moi et plusieurs autres, soustraire l’alcool de leur vie. Au-delà de cette volonté, j’aimerais faire comprendre aux réfractaires de l’entourage de ces gens sobres qu’on peut simplement ne pas boire d’alcool, point final. Ainsi, je ne crois pas qu’il soit utopique de penser que dans un avenir rapproché, on pourra refuser un verre d’alcool comme on refuse un Loto-Max à la station-service!