Ma deuxième vie

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Par Josiane Vallières

Vous est-il déjà arrivé d’avoir l’impression que la vie vous donnait une seconde chance?

C’est exactement le sentiment qui m’habite aujourd’hui. C’est comme ça que je me sens. Je vis sur du temps emprunté alors j’essaie autant que possible de profiter de chaque seconde qui m’est accordée ici-bas. C’est comme ça.

Il y a presque un an jour pour jour, je voulais mourir. Je voulais m’achever, me bousiller, m’éclater la gueule, ne plus me réveiller, bref me tuer. J’avais mal et je ne savais plus comment soulager ce trou vide sans fond dans mon estomac qui était là en permanence. Quand on a un bras cassé, on met un plâtre, quand on a mal à une dent, on la fait arracher mais quand c’est notre coeur et notre esprit qui semblent pourris, comment est-ce qu’on fait? Avec un peu de recul, ce que je souhaitais vraiment ces fois où j’ai avalé des tonnes de pilules accompagnées d’un chic vin rouge de la cuvée 2016 du dépanneur du coin, c’était simplement de ne plus rien sentir. Juste ça. J’avais la certitude que j’étais trop sensible pour vivre ici.

Est-ce un défaut de fabrication ou si on s’est cassé en cours de route?

J’entends d’ailleurs souvent les gens dire, ceux qui ont souffert de la même façon que moi, que peut-être nous ne sommes pas équipés pour faire face à la vie. Comme s’il nous manquait un morceau. Nous les dépendants, nous sommes défecteux. Est-ce un défaut de fabrication ou si on s’est cassé en cour de route? Ça, je ne le sais pas. Ce que je sais par contre, c’est que j’avais découvert une technique médicale avancée qui selon mon jugement aiguisé de l’époque, s’avérait très efficace pour pallier à mon manque de joie de vivre: boire et me geler. Je maîtrisais parfaitement l’art de l’auto-médication (alias auto-destruction) par l’alcool et les drogues. La clé du succès réside dans la pratique constante et l’expérience à ce qu’on dit. Alors en tant que femme déterminée et ambitieuse, je m’y suis adonnée pendant 15 longues années. Je m’entraînais tous les jours d’arrache-pied à ingurgiter et à sniffer des substances dans le seul et unique but de ne pas me sentir moi. Quand on y pense, ne plus vouloir se sentir soi-même en revient à la même chose que de vouloir disparaître. Ou juste avoir le désir profond de me réveiller soudainement dans la peau de quelqu’un d’autre.

Disons donc que “ne pas m’aimer” est vite devenu mon sport national. Ça impliquait d’intégrer assidûment dans ma routine quotidienne la pratique du “je me noie dans l’oubli accotée au comptoir d’un bar miteux” dès que j’en avais l’occasion. C’est-à-dire chaque fois que j’étais en tabar..%$#@, que j’avais quelque chose à célébrer, que je trouvais le temps long, quand ma boss m’exaspérait, quand je devais prendre une décision de la plus haute importance telle que devrais-je marcher à gauche ou à droite du trottoir, lorsque j’avais eu une mauvaise ou même une bonne journée, quand il pleuvait ou qu’il faisait soleil, quand je me cognais le petit orteil sur le coin d’une table… Bref, dès que j’avais une raison qui m’apparaissait pertinente (en l’occurrence, TOUTE la gang!), je courrais commander un appétissant bock de bière en fût à 5.75$, un excellent remède contre la vraie vie mon ami!

Mon objectif ultime? Fuire la réalité à laquelle j’étais incapable de faire face.

Puis, ça a fait son temps et bientôt cette savante technique que je croyais infaillible cessa de donner les résultats escomptés. Peu importe la quantité de drinks et de poudre que je mettais dans mon nez, je n’arrivais plus à engourdir le profond vide logé au creux de mon ventre. Et c’est là que j’en suis venue à la conclusion que mourir était la seule option qui me restait.

Visiblement, la vie avait un autre plan pour moi car je n’ai pas réussi à m’achever. Bon, je suis un peu “dur de comprenure”, car c’est seulement à la troisième tentative que j’ai fini par comprendre. Mieux vaut tard que jamais! Et c’est à ce moment précisément que j’ai amorcé un long processus pour apprendre à vivre avec moi-même, c’est à cet instant précis que j’ai entrepris cette belle aventure qu’est la vie en toute sobriété. Un parcours pas toujours facile mais ô combien divertissant et qui en vaut la peine. Pour une personne comme moi qui a besoin de challenge constant, quel meilleur défi que d’apprendre à dealer avec la réalité une journée à la fois pour le restant de ma vie?

Je suis parfaite telle que je suis. Et la vie est telle qu’elle est, simplement. C’est comme ça.

Depuis, cette mort dans l’âme, qui avait élue domicile dans mon être depuis aussi longtemps que je me souvienne se fait maintenant plus discrète. Je pense qu’elle s’est louée une maison à la campagne pour y vivre une retraite paisible et que l’envie de me visiter se fait de plus en plus rare. Elle doit commencer à se fatiguer car les fois où elle se pointe, ma porte ne lui est plus grande ouverte comme avant. Et lorsque finalement, je la laisse entrer, c’est seulement le temps d’un café, ensuite je lui montre la sortie… et pas toujours d’une façon polie. Aujourd’hui, je peux affirmer sans l’ombre d’un doute que c’est la sobriété qui m’a appris à apprivoiser la bête noire et à lui montrer que la personne forte que je suis l’emporte, sur elle. Je ne lui laisse plus prendre toute la place. Aujourd’hui, j’apprends à m’aimer avec toutes mes qualités et mes défauts. Je suis parfaite telle que je suis. Et la vie est telle qu’elle est, simplement. C’est comme ça.

Ça semble peut-être évident pour vous, mais pour une alcoolique toxicomane comme moi qui ne consomme plus, c’est une bataille quotidienne que d’accepter la réalité telle qu’elle est sans la fuire. Le jour où j’ai arrêté de boire et de me geler, c’est ce jour là que j’ai connu un nouveau départ.

Il y a un avant et un après. Comme si moi, j’avais eu droit à deux vies dans une seule. Le jackpot!

Je disais donc… Ah oui! Une seconde chance! Étant donné que j’ai déjà tenté de mettre fin à mes jours intentionnellement, maintenant j’aime penser que je vis sur du temps emprunté. Comme ça, tout semble plus doux et plus léger. La vie n’est qu’une longue et fascinante expérience à laquelle j’ai la chance de participer. Une occasion précieuse de prendre le temps d’aimer, de rire le plus souvent possible et de foncer tête baisser à la poursuite de mes rêves… aussi étranges ou démesurés soient-ils.

Et si la vie vous donnait à vous aussi cette seconde chance, vous en feriez quoi? Pourquoi ne pas le faire dès aujourd’hui alors?