L’obsession de la maigreur

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Texte par Anne-Sophie B. 

Je ne sais pas si vous le savez, mais le high de s’affamer est comparable au high de la cocaine.

Vomir des mots. C’est pas mal plus agréable que de vomir mon repas. Et pas mal plus sain.
Mon cauchemar a commencé en avril 2008, à l’âge de 16 ans. Avec ma grande sœur, on voulait un beach body et on avait acheté des pilules pour maigrir. Un programme de trois semaines qui consistait à prendre une pilule avant chaque repas et une poudre à diluer dans deux litres d’eau à boire à tous les jours. J’ai suivi le programme à la lettre. Je ne me trouvais pas grosse mais j’étais complexée par mon ventre. J’avais en tête de perdre 4-5 livres pour avoir un ventre un peu plus plat. Après ce trois semaines, ma sœur a repris tout le poids qu’elle avait perdu. Moi j’ai eu un déclic. Quatre ou cinq livres ce n’était plus assez. J’ai commencé à avoir l’obsession de la maigreur. Quand je dis obsession, je n’exagère pas. Ça occupait 100% de mes pensées. J’ai commencé à me restreindre dans la nourriture. Je me pesais à tous les jours, plusieurs fois par jour. On avait une balance dans la salle de bain que toute la famille utilisait mais je l’ai apportée dans ma chambre. Cette balance est devenue ma meilleure amie. Mais une meilleure amie toxique. Elle me dictait comment m’habiller. Si j’étais trop « grosse », je ne pouvais pas mettre de vêtements serrés. Mais il fallait aussi que je fasse attention pour cacher ma maigreur pour ne pas alarmer mes parents. Elle me dictait aussi ce que j’allais manger car encore une fois, si j’étais trop « grosse », je devais me restreindre. Elle allait même jusqu’à m’empêcher de sortir de chez moi si je dépassais ma limite de poids. Je ne pouvais pas me montrer en public « grosse » comme ça. En passant, je n’ai jamais été grosse. Selon Google, mon indice de masse corporel (imc) se situe entre 92 et 125 livres et lorsque j’ai commencé ma diète, j’étais à 97.
Je me disais : « Un autre 3 livres. Après j’arrête. » mais je n’arrêtais jamais. J’étais à la conquête du corps parfait mais c’était rendu maladif grave mon affaire.
Cet été là, j’ai atteint 83 livres. Je jetais ma nourriture en cachette. Je disais que je mangeais chez mon amoureux alors que je disais à mon amoureux que j’avais mangé chez moi. Je passais énormément de temps et d’énergie à planifier mes mensonges et mes stratégies pour éviter de manger. Je m’examinais dans le miroir à la loupe pour chercher du gras. Je jubilais quand je voyais mes côtes ou mon sternum. On pouvait mettre un dictionnaire entre mes cuisses. Même la taille 00 était trop grande pour moi. J’étais obsédée par la nourriture. J’en avais tellement besoin. Je passais mon temps dans les livres de recette. Je cuisinais énormément. Mais jamais pour moi. J’ai même fait mon DEP en pâtisserie. Je devais trouver un contact avec la nourriture autrement qu’en mangeant. Je faisais engraisser les autres. Je me sentais comme super woman. J’avais 100% du contrôle.Je ne sais pas si vous le savez, mais le high de s’affamer est comparable au high de la cocaine. J’aimais toucher mon corps et sentir mes os. Mais je me trouvais toujours trop grosse. Je n’étais toujours pas satisfaite. Chaque fois que j’atteignais mon objectif de poids sur la balance, ce n’était plus suffisant et un nouvel objectif apparaissait. Je me disais : « Un autre 3 livres. Après j’arrête. » mais je n’arrêtais jamais. J’étais à la conquête du corps parfait mais c’était rendu maladif grave mon affaire. Je me comparais à toutes les femmes que je voyais. Si j’étais plus mince qu’elles, c’était une réussite. Mais si j’en voyais une plus mince que moi, je devenais un échec total. Je devais être la plus maigre. Toujours. Je n’étais pas capable de me mettre nue devant mon chum. J’étais trop complexée par mon « gras ». Je faisais l’amour dans le noir et avec un t-shirt. Tout le temps que durait l’acte, je pensais à mon corps et aux calories que je perdais en faisant l’amour. Je ne me suis jamais laissée aller. Pouvez-vous croire qu’en cinq ans de relation, je n’ai pas avalé son sperme une seule fois pour ne pas engraisser?
Je menais une double vie. Comme Dr Jekyll et Mr Hide. Je portais un masque 24/7. Je souffrais terriblement. 
Toutes mes calories étaient comptées. Une pomme : 50 calories. Une cuillère de mayo : 100 calories. Une cuillère de mayo faible en gras : 20 calories… Je passais la journée à compter et recompter les calories que j’avais ingérées de peur d’oublier un aliment. À force de me restreindre et de me priver de nourriture, je tirais l’élastique puis il a fini par péter. Je n’arrivais plus à me restreindre. J’ai commencé les crises de boulimies. Je m’isolais désormais pour manger pendant des heures. Je pouvais ingérer quinze mille calories en deux heures. Les extrêmes totales. Sans exagérer, je vous jure. Je faisais livrer 60$ de nourriture que je mangeais à moi seule. J’avalais sans mastiquer. Je prenais des bouchées immenses. Je me gavais jusqu’à ne plus être capable de marcher. Puis je me rendais aux toilettes, pliée en deux, en me tenant le ventre, pleine de douleur et de crampes. Et je vomissais tout. Je régurgitais des aliments entiers que j’avais avalé tout rond. Je me rentrais toute sorte de choses dans la gorge. Crayons, brosses à dents, tubes… Quand le besoin de faire une boulimie me prenait, je ne pouvais pas attendre. Par exemple, je me faisais des croquettes de poulet. Mais le temps que le four atteigne sa chaleur, plus le temps de cuisson, c’était insoutenable. Je mangeais donc les croquettes crues, en espérant par la même occasion que le poulet cru me ferait faire une indigestion et me ferait vomir davantage. Malade, dites-vous? Je m’isolais de tout le monde. Personne n’était au courant de ce trouble qui m’accaparait et me rendait prisonnière. Je menais une double vie. Comme Dr Jekyll et Mr Hide. Je portais un masque 24/7. Je souffrais terriblement.
Je me regardais dans le miroir tout le temps en me disant à quel point j’étais laide et grosse.
À 19 ans, j’ai eu une greffe de poumons qui m’a sauvé la vie car j’ai aussi une maladie pulmonaire très grave et si je ne recevais pas mes nouveaux poumons, je mourrais. Mais cette histoire sera pour une prochaine fois. Bref, après m’être rétablie de cette grosse opération, je me suis dit que je ne voulais pas gaspiller cette 2ème chance et je voulais me rétablir de ce trouble. Je n’étais plus capable, au bout du rouleau, complètement. J’avais totalement perdu le contrôle de ma vie. Je pensais avoir le contrôle sur tout, mais c’était l’anorexie qui avait le contrôle sur moi. Et là, j’ai réussi à m’ouvrir à une fille. C’était un immense secret pour moi. J’étais couverte de honte et de culpabilité et c’était ma pire peur au monde que quelqu’un découvre mon trouble alimentaire. J’étais convaincue que mon chum allait me laisser et que mes parents allaient arrêter de m’aimer. J’ai donc parlé à cette fille qui m’a conseillée d’aller à Douglas. J’ai gardé le papier sur lequel elle avait écrit le numéro de téléphone pendant des mois dans mes poches sans être capable d’appeler. J’avais commencé à faire du bikram yoga. 90 minutes de yoga à 42 degrés Celcius. J’ai commencé ce sport à 72 livres. J’avais pris quatre livres car je n’avais pas réussi à tout vomir ce que je mangeais et je me détestais. J’aurais rentré un couteau dans mon ventre pour enlever le « gras ». Je voulais pas me tuer mais je voulais enlever le « gras ». Le monde au studio de yoga pensait que j’avais une maladie bizarre aux jambes tellement elles étaient maigres. Je faisais même parfois deux séances de suite.Je me regardais dans le miroir tout le temps en me disant à quel point j’étais laide et grosse. J’étais juste un gros porc incapable de se contrôler. « Aweille. Souffre ma grosse. Espèce d’incapable. Force. C’est toi la plus grosse du studio. T’es juste une grosse vache! » Et ce discours tournait en boucle dans ma tête toute la journée. Je me bourrais de laxatifs. J’en prenais tellement. J’ai déjà chié dans mon lit, dans mon pantalon, etc. Je me suis fait vivre l’enfer
J’ai laissé mon chum parce que je ne trouvais pas que je le méritais. Je ne m’aimais pas assez. Pas du tout, en fait.
 Et à un autre moment, j’ai réussi à m’ouvrir à ma belle-mère. La 2ème personne à qui je l’ai dit. Elle m’a amené à l’urgence de Douglas. Le médecin qui m’a vue était justement la psychiatre spécialisée en troubles alimentaires. Dieu fait bien les choses! La liste d’attente pour être dans le programme de Douglas des troubles alimentaires était de plusieurs mois. Mais étant donné mon poids si bas et ma condition de santé, je suis rentrée tout de suite. Je suis restée à Douglas quelques mois. Thérapies de groupe, thérapie individuelle, rencontres avec la psychiatre… En sortant de là, j’allais direct au McDo. Je me gavais dans l’auto en conduisant et en arrivant chez moi, je me faisais vomir. J’ai fini par lâcher. J’avais l’impression d’atteindre un plateau. Mais j’ai repris du poids. J’ai même réussi à atteindre un poids santé. Pas par ma volonté, par exemple. J’ai juste totalement perdu le contrôle. Je n’arrivais plus à me restreindre. Mais je n’allais pas mieux. Je me détestais au plus haut point. Et l’anorexie avait juste été remplacé par la boulimie. Même que l’alcool et les drogues sont arrivées parce que je n’arrivais plus à me vivre. Je ne pouvais plus gérer ça.J’ai laissé mon chum parce que je ne trouvais pas que je le méritais. Je ne m’aimais pas assez. Pas du tout, en fait. Je n’étais pas capable de me donner à lui et de lui rendre son amour. Mais en le laissant, je me suis juste isolée davantage.
J’ai pleuré devant mes assiettes parce que je ne voulais pas manger. 
La bonne nouvelle est que j’ai commencé à voir une psy, régulièrement. Je l’aimais beaucoup. Je manquais pas mal de séances et j’y suis déjà allée gelée mais j’y allais quand même. Elle voulait que je vois la nutritionniste avec laquelle elle travaillait à une clinique privée spécialisée en troubles alimentaires. J’ai accepté après des mois de négociation. Après d’autres mois de négociations, j’ai accepté de faire le programme intensif. Cinq groupes repas par semaine et des thérapies quatre après-midi par semaine. Avec d’autres filles qui souffraient comme moi. J’étais pleine de peurs et d’angoisses.J’ai pleuré devant mes assiettes parce que je ne voulais pas manger. J’ai pleuré des litres et des litres de larmes en thérapie. Je devais nommer mes émotions et je me fiais à une liste d’émotions que ma psy m’avait donné parce que la seule émotion que j’étais capable de nommer c’était « je me sens grosse ». J’ai aussi commencé à faire des meetings alcooliques anonymes. Par AA, j’ai connu outre-mangeurs anonymes « OA ». J’en ai fait à toutes les semaines. Et à tous les meetings, je me levais pour prendre mon jeton du nouveau. Parce qu’à tous les jours je rechutais en me faisant vomir. J’apportais mes balances à ma nutritionniste mais le lendemain, j’en achetais une nouvelle. Je lui ai apporté sûrement une dizaine de balances… Je me suis crissée à genoux en braillant bien des fois parce que j’étais plus capable.
Ne vous laissez pas abuser par ce monstre. Vous êtes plus qu’un stupide chiffre sur une stupide balance.
Finalement, je suis entrée en détoxication en mai 2017. Une thérapie fermée pendant trois mois. Ça m’a changé. J’ai admis mon impuissance face à mon trouble alimentaire. Il me faisait perdre la maîtrise de ma vie. Il me contrôle à 100%. Il m’empêche de vivre, m’empêche de m’épanouir et m’empêche d’être heureuse. Il me pourrit la vie. Il m’empêche d’entrer en relation avec les autres. Il me fait mentir, manipuler, voler. Il me couvre de honte. Il me fait tellement sentir coupable. Je me sens coupable d’avoir autant inquiété mes pauvres parents qui ont tout fait et tout donner pour moi. Il m’a fait perdre des amies et des emplois. Aujourd’hui, je pense que la vie vaut la peine d’être vécue. Je veux être heureuse. Je veux réussir à profiter de chaque instant sans penser à mon ventre constamment. Je veux pouvoir manger ce que je veux sans me mutiler pour me punir après. C’est bon des rondelles d’oignon pis du gâteau aux carottes. C’est bon du lait pis du sucre dans un café. En fait, du café noir, je trouve ça dégueulasse. J’en ai bu un litre par jour pendant des années. Je me suis fait subir ça. C’est atroce. Je veux me commander de la pizza avec mon chum devant un bon film collé. Je veux faire l’amour toute nue et me faire caresser et embrasser le ventre. Je veux avoir un orgasme et crier le nom de mon chum au lieu de ressasser tout ce que j’ai mangé dans la journée. Je veux mettre des chandails bedaine. Je veux avoir de l’énergie pour faire plein d’activités au lieu d’être en survie tout le temps parce que je mange à peine cinq cent calories par jour. Je veux vivre. Le temps passe vite et tout ce temps que j’ai perdu à m’isoler avec ma balance et le doigt dans le fond de la gorge, je ne le récupérerai jamais. Ce que je veux surtout, c’est d’aider des filles qui souffrent en secret parce qu’elles se trouvent grosses alors qu’elles sont magnifiques. On est tous uniques et on est tous beaux. La beauté se reflète dans la confiance et l’attitude qu’on dégage. Les plus belles femmes sont des femmes épanouies et heureuses qui ont des yeux brillants. Aimez votre corps. Aimez-vous. Vous allez dormir avec vous le restant de votre vie alors autant vous accepter dès maintenant. Votre corps vous soutient et vous fait vivre. Soyez gentils avec. Traitez-le bien. Diriez-vous à votre meilleure amie qu’elle est laide, et jamais correcte? Pourquoi alors tenir ce discours envers vous-même? Je crois aux miracles parce que j’en suis un. Si je guéris de mon trouble alimentaire, n’importe qui le peut. Ne vous laissez pas abuser par ce monstre. Vous êtes plus qu’un stupide chiffre sur une stupide balance.
Si tu souffres d’un trouble alimentaire, tu peux contacter :
https://anebquebec.com/
http://www.douglas.qc.ca/section/troubles-de-l-alimentation-146