Liberated 2018

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Texte par Marie-Ève Simard

…j’avais trouvé des trucs pour pas faire des choses que je voulais pas, et bien, une fois que j’avais bu, j’avais pu besoin de trucs parce que l’alcool réussissait à me faire croire que je voulais, à me faire faire des affaires que j’avais pas toujours envie.

C’est mardi soir, l’heure du dodo est arrivée. Comme tous les soirs, bien, je m’occupe de mon chien, je prends une bouteille d’eau et je me dirige dans ma chambre : « mon petit havre de paix », ce qui n’a franchement pas toujours été le cas ; mais bon, on y reviendra. D’habitude, je m’allume une petite chandelle et je prends un livre comme le dernier de Nicole Bordeleau ou la méthode Ho’oponopono, question de lire des phrases comme celles-ci :

« Aujourd’hui, laissez derrière vous votre vieille histoire. Et laissez la vie vous en proposer une nouvelle. »

Tsé, je l’aime Nicole, mais des fois, elle me fait suer. Souvent, elle me dérange parce que pour elle, ça l’air tellement facile de s’aimer, de s’accepter, et de se pardonner.

Mais bon, ce soir, ça ne me tente pas de lire et de méditer. Je regarde sur Netflix pour voir s’il y a pas un documentaire qu’y me tente, et je tombe là-dessus : Liberated, the new sexual revolution. Intéressant! Un documentaire sur l’influence de la culture pop sur notre génération. En fait, ce sont des cinéastes qui filment des universitaires durant le spring break; c’est comme une version récente de Jersey Shore sauf qu’eux, ce sont des universitaires, donc, il y a des chances qu’un jour ça soit un de ces gars-là qui te pose un faux cul comme celui de Kylie Jenner. En fait, je te lance le défi de visionner les 30 premières minutes sans avoir l’envie profonde de dégueuler. Moi, j’ai continué de l’écouter. Oui, j’ai comme, en moi, un petit côté autodestructeur. Le pire dans tout ça, c’est que je me suis reconnue. D’accord, je suis jamais allée au Beach Club, mais j’ai dansé dans des cages au Coco Bongo à Cancún alors, ça s’annule right ? C’était sur du Pitbull! Ça m’avait donné un doux feeling de pouvoir; j’avais de l’attention! Je me rappelle de m’être sentie désirée. Ce genre de feeling qui m’arrive rarement quand je scroll down sur Instagram et que tout ce que je vois ce sont des filles qui ont la shape d’Élizabeth Rioux. En fait, je ne peux pas leur en vouloir, parce que je suis convaincue que tous les êtres humains ont le besoin d’être désirés. La question importante est : « Mais à quel prix ? » Qu’est ce qu’une femme est prête à faire, à tolérer pour ne pas être invisible aux yeux de notre société ? Ça, personnellement, ça m’a menée loin. Parce que la société m’a vite appris qu’être désirable aux yeux des hommes, bien, c’était essentiel. Cette sexualisation-là, dans mon cas, a commencé vraiment tôt. Je vais t’épargner l’âge auquel j’ai perdu ma virginité. Je me rappelle être sur MSN et de me faire demander par des garçons de ma classe de leur montrer mes seins (si on peut appeler ça des seins à cet âge-là). J’avais développé des trucs pour pas aller jusque là, comme faire le robot pour faire comme si la webcam laguait, parce que si je disais non, je passerais pour une fille pas déniaisée et ils auraient probablement arrêté de me parler. Ensuite, j’ai continué de grandir et de lire des articles dans la revue Cool du genre :  « Comment faire pour que ton kick te remarque? », ou bien, de découper des photos de la taille fine de Christina Aguilera. Ah! ouais, et puis, bien jeune, j’ai connu l’alcool; on dirait que ça me donnait confiance en moi. Et rapidement, c’est devenu un problème dans ma vie. Plus haut, je te disais que j’avais trouvé des trucs pour pas faire des choses que je voulais pas, et bien, une fois que j’avais bu, j’avais pu besoin de trucs parce que l’alcool réussissait à me faire croire que je voulais, à me faire faire des affaires que j’avais pas toujours envie.

Et là, tu réalises que tu ne devrais jamais avoir à te forcer à baiser un gars qui te colle avec son érection du matin pis son haleine de fond de tonne.

En réalité, quand ça fait 1 an et demi que tu ne consommes plus, c’est que t’as eu en masse le temps de dégeler et de te rendre compte que c’est crissement wrong d’apprendre par tes chums de filles qu’hier t’as couché avec le gars avec la moustache, le meilleur ami du gars qui te fait vraiment tripper, dans la salle de bain d’un bar miteux.

Et plus t’es sobre, plus tu te rends compte de ce que tu vaux vraiment. Et là, tu réalises que tu ne devrais jamais avoir à te forcer à baiser un gars qui te colle avec son érection du matin pis son haleine de fond de tonne. Pis même si tu l’as fait pareil parce qu’il fallait que tu sois cochonne et toujours down pour qu’il te rappelle, au moins aujourd’hui, tu réalises que ça ne devrait plus jamais être ça, un rapport homme-femme. Moi, ces gars-là, je les connais bien. Dans la semaine, ils t’écrivent qu’ils s’ennuient. Probablement que comme moi, tu vas sourire dans ton petit cœur, et juste après, ils vont ajouter : « Me semble que si tu m’envoyais une photo de tes fesses, je passerais une belle journée. » À force d’être traitée comme un objet sexuel, bien tu finis par y croire.

Un soir, ils vont aller au bar de danseuses, ça va les allumer un peu. Au lieu d’aller rejoindre leurs blondes, ils vont débarquer chez toi. Au début, il y a des bonnes chances que tu les laisses entrer parce que tu comprends pas trop ce qui se passe ni ce qu’ils font là, chez toi. Ensuite, tu vas les embarquer dans ton char pour aller les porter chacun chez eux, ils seront peut-être deux, complètement défoncés. Les deux te supplieront de coucher avec eux.  Dans la voiture, il y en a un qui va te montrer son pénis et puis prendre ta main pour la mettre dessus. Au moment où tu seras rendu à destination, ils vont refuser de sortir de l’auto si tu ne sors pas, et puis ils vont retirer les clefs du contact de char pour t’obliger à rentrer à l’intérieur de la maison. Même si ça fait quinze fois que tu leurs dis non, que tu leurs demandes qu’ils te fichent la paix, ils vont quand même continuer à te supplier pis à te tripoter. Par chance, tu vas réussir à prendre tes clefs, tu vas quand même leur souhaiter « bonne nuit » et te rediriger chez toi, dans ton havre de paix. Tu ne dormiras sûrement pas beaucoup cette nuit-là, sous le choc. Mais le pire, c’est que tu vas croire que c’est tout ce que tu vaux et que c’est tout ce que tu mérites. Tu iras même jusqu’à penser que s’ils t’avaient violé, bien ça aurait été de ta faute. Ces gars-là, bien, ils ne s’excuseront jamais pour ça. Aux yeux de leurs blondes, ils vont rester des bons gars.

Ce qui est génial quand t’es sobre, c’est que tu découvres enfin c’est qui la vraie toi, tes valeurs à toi et ce que tu refuses désormais de tolérer.  

Je me suis éloignée un peu. Dans le documentaire, c’est le spring break, tout le monde se torche. Il y a un gars qui baise plein de filles, il fait des concours avec ses chums. Les filles, bien elles sont complètement faded, complètement finies. C’est à ce moment-là où je me suis vue ! Et là, j’ai pensé à Nicole Bordeleau : « Aujourd’hui, laissez derrière vous votre vieille histoire… »

Je me suis mis à écrire pour te dire : « Fille, ne laisse plus jamais la pression de la société te faire croire que ta valeur se résume au désir d’un homme. Rappelle-toi qu’ils n’ont aucun droit sur ton corps et que tu n’es pas un objet sexuel ! »

Je me suis mis à écrire pour m’accorder le pardon et faire la paix avec mon passé. Le pardon c’est quelque chose que je n’avais jamais connu avant la sobriété.

Ce qui est génial quand t’es sobre, c’est que tu découvres enfin c’est qui la vraie toi, tes valeurs à toi et ce que tu refuses désormais de tolérer.