La veille de mon sevrage

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Texte anonyme

On est le 1er mars 2017. Je me réveille à 5 :00 a.m. encore une fois ; comme toute les fois où je bois. C’est le retrait de l’alcool qui réveille mon corps et réveille mon anxiété. Je connais mes motivations à boire depuis un moment déjà. Je suis consciente du cercle vicieux dans lequel je vis. Je ne suis plus une party animal ou la fille cool qui boit plus que les gars. Je suis une alcoolique banale du quotidien, celle qui n’est pas suspectée. Celle qui s’amuse fort dans les fêtes, celle chez qui on va et où on trouve toujours du vin. Je suis la bonne buveuse mais celle qu’on ne soupçonnerait jamais d’avoir un problème, car je fonctionne. J’ai ma petite entreprise qui devient de plus en plus grande, j’ai ma fille que j’élève avec amour et tendresse. J’ai mon appartement, je paye mes bills ; jamais en retard. Je suis fiable. J’ai de bons amis  et une famille merveilleuse. Bref, je suis une maman qui vient d’avoir 36 ans et qui a l’air de tout sauf d’une fille qui a une problème de dépendance. Et c’est ce qui fait que cette maladie est plus douloureuse encore. Mon égo m’empêche de le dire, de m’exposer, de me mettre dans un état de vulnérabilité. Alors je me tais et je vis cette histoire en silence. Je ne voudrais pas décevoir, mettre la honte sur ma famille, sur ma fille ou sur moi-même. Je ne voudrais pas me faire juger, qu’on me traite de lâche ou qu’on dise que je manque de volonté. Parce que c’est encore ce qu’on croit, à tort.

Pourquoi je fais ça, je me dis : “demain, c’est fini.”

Je me réveille fatiguée, tellement fatiguée, ça fait des milliers de fois que ça m’arrive. Ça fait des milliers de fois que je souhaite que ça cesse, ça fait des milliers de jours que ça prend toute la place. Ça fait des milliers de fois que je dis : “demain c’est fini”, ça fait des milliers de fois que je me crois, ça fait des dizaines de fois que j’arrête. Ça fait des dizaines de fois que j’y arrive pas. Ça fait des millions de déceptions, des millions de douleurs. Je me réveille, je cherche le petit pied de ma fille parce que c’est comme ça qu’on s’endort elle et moi ; son petit pied dans ma main. Je le trouve et ça me rassure mais en même temps, je capote. Au fond de moi, je sais que je veux plus ça. Pourquoi je fais ça, je me dis : “demain, c’est fini.” Ce qui m’angoisse le plus, c’est l’idée qu’elle, ma petite fille, puisse être comme moi.  Ça, ça vient mettre un terme à ma nuit de sommeil. Je suis fatiguée, mais je ne le dis pas. Il faudrait que j’avoue, que j’explique tout ce qui se passe. Trop long, trop compliqué. Alors je dis rien et j’attends à 5 :00 a.m pour enfin avoir cette coupe de vin blanc qui viendra soulager tout ça. Physiquement et psychologiquement, j’ai enfin mon médicament.

La dépendance est la seule maladie dont le médicament qui la soulage est aussi son poison. Alors le seul moyen de se sortir du cercle infernal c’est de couper à frette comme un membre gangrené. Demain c’est fini, je m’ampute.