Dans les dédales : les aventures de Sara

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Récit par Françoise L.

– Tiens, ma belle fille, je te donne deux ativans, tu vas t’endormir vite, je te le promets.

– C’est pas dangereux, deux ativans avec toutes les pilules que j’ai avalées hier?

– Non, ça ira, tu vas survivre, je te le promets.

L’infirmière en avait clairement vu d’autres avant, des pires, des bien pires que moi. Elle ne semblait pas trouver ma question complètement débile, elle avait même esquissé un sourire attendrissant : j’étais quand même là à m’inquiéter d’une surdose médicamenteuse à l’ativan, alors que la veille j’avais avalé tout ce que j’avais pu trouver dans ma pharmacie après avoir bu des litres de vin blanc et vidé des sachets de cocaïne. On s’était regardé mutuellement amusées par l’ironie de l’affaire, et son sourire était devenu petit rire et moi aussi, j’avais ri, en me disant : mais oui, Sara, tu voulais faire une overdose seule chez vous et maintenant tu t’inquiètes d’en faire une entourée de médecins et d’infirmières, franchement…

Même dans les circonstances les plus tragiques de ma courte vie, j’arrivais à m’amuser de mes névroses et de mes obsessions. J’étais le personnage un peu pathétique de tous les films et séries télévisées, celui qui fait toujours le contraire de ce qu’il devrait faire et qui nous fait sacrer devant l’écran : « Ah, mais quelle conne, non, pourquoi elle fait ça, pourquoi elle dit ça, sacrament… »

C’était moi, là, coincée à l’urgence psychiatrique, qui devait passer la nuit avec une bande de schizophrènes en crise, qui crient, qui hurlent, prêts à m’étouffer avec leur oreiller. Les deux ativans, qui normalement auraient pu endormir un cheval, me firent plutôt l’effet d’un espresso. Mon insomnie était aussi noire et froide que cette nuit de janvier. J’étais un désastre, dedans, comme dehors. Mon corps était marqué de bleus, mes jambes, mes bras saignaient par endroits. J’étais exténuée de ne pas avoir dormi, brûlée de ma noyade ratée. Et, mon cœur était triste, si triste.

À ce moment précis, j’avais perdu tous mes droits : je ne pouvais sortir de là, je ne pouvais pas appeler, je ne pouvais pas aller aux toilettes sans que l’infirmière soit derrière la porte, au cas où l’envie me prenne de me cogner la tête sur le carrelage ou de me noyer la tête dans le bol… C’était cet endroit-là : l’endroit des fous, l’endroit des gens qui te surprennent toujours d’une nouvelle façon d’attenter à leur vie, ils ne prenaient aucune chance. C’était humiliant de se retrouver là parmi ces gens malades, bien plus malades que moi : le mec qui se prenait pour Jésus, la fille qui hurlait dans une langue inconnue me renvoyaient une bien piètre image de moi.

La nuit fut courte et au déjeuner, l’infirmière était venue me voir dans la grande salle où tous les fous mangeaient : « Ma belle fille, le docteur Chose t’attend dans son bureau. »

Bon, enfin. C’était celui qui me rendrait ma liberté. En traversant le hall, j’avais croisé mes parents qui attendaient à l’avant dans la salle d’attente. Ils avaient mis leurs habits du dimanche pour venir chercher leur fille à l’hôpital psychiatrique : mes parents ont toujours été parfaits sur papier, toujours, même dans les pires circonstances. Ils me virent, se levèrent, me prirent dans leur bras. Ma mère m’avait apporté des vêtements propres qui sentaient le downy.

J’étais entrée dans le bureau du docteur, le psychiatre. Il avait le nez dans mon dossier :

– Ouin…Sara, ça fait deux fois qu’on se voit cette année. Y’a tu des chances que tu essaies de te faire du mal dans les prochains jours?

– C’est pas dans mes plans, non.

– Bon, là, à voir ton dossier, on voit que tu es instable un peu…Multi-dépendante…Tes blessures, là, c’est quoi?

– Mmm, bien je me gratte quand je suis stressée.

– Automutilation, dit-il en écrivant dans son cahier. Tes relations amoureuses?

– C’est une vraie question? Mon chum m’a laissé après m’avoir trompé avec deux de mes amies back à back. Je ne l’ai pas tué, mais j’aurais pu.

– Tu sais Sara, toi, tu es quelque chose comme borderline…Troubles alimentaires, troubles anxieux, relations dysfonctionnelles, suicidaire sur les bords, problèmes de dépendances, ça ressemble à ça, un beau mélange de comorbidité.

– Ok, alors là je suis borderline après deux minutes de discussion avec vous? C’est ça? Pis, on fait quoi avec ça? Je vais recevoir l’aide destinée aux personnes borderlines diagnostiquées sur le coin de votre bureau? J’y ai droit?

– Y’a les psychologues du CLSC…si tu ne peux pas en payer un.

– That’s it? J’ai le droit à un diagnostic gratuit, mais pas aux soins qui vont avec?

– C’est compliqué là, les ressources manquent.

– Ok, bien merci pour le diagnostic gratuit alors. Je fais quoi avec ça moi? J’attends que ça passe?

– Bien, ça finira par passer en vieillissant, tu l’es un peu, pas beaucoup : mais chose certaine, toi, l’amour ce sera pas pour toi. Tu verras les amoureux sur la rue et tu te diras toujours que tu n’es pas assez pour ça toi, vivre une belle relation.

– Vraiment?

– Oui, vraiment.

Je ne lui ai pas dit, mais tout mon être lui avait envie de lui crier : « Je vous emmerde Docteur Chose!

J’avais pu sortir de là. Mes parents m’avaient ramené chez eux sans parler, dans ma maison parfaite de famille parfaite. Ma mère m’avait nourrie. J’avais dormi et j’étais retournée dans mon appartement qui avait des airs de fin du monde après trois jours de sobriété obligée.

Ce soir-là, je me suis achetée un gros litre de vin blanc et des cigarettes. J’ai fait une vraie borderline de moi.

À SUIVRE…